
1839
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22 octobre 1839
LE ROI DENIS.
Un journal de Nantes, publie des renseignements suivants sur la délivrance de marins anglais par le capitaine Amouroux, dans la rivière du Gabon.
C'est le rapport même de M. Amouroux du navire Le Destin
— Parti de Saint-Nazaire le 8 décembre 1858, j'arrivai à la côte d'Afrique te 5 janvier suivant. J'ai parcouru cette cote pendant sept mois, et partout j'ai trouvé une forte concurrence établie par les Anglais et tes Américains.
Le 10 mai dernier, j'étais dans le Gabon, lorsque deux embarcations, que je reconnus pour celles d'un bâtiment de guerre, entrèrent dans la rivière, l'une par la rive droite, l'autre par la rive gauche. Cette dernière accosta une goélette portant pavillon américain, qui se trouvait mouillé près de mon navire, tandis que la première, armée de sept hommes, continuait à remonter le Fleuve. Ces deux embarcations appartenaient au brick-goélette de guerre anglais le Lynx, capitaine Breadlead, qui vint mouiller sur la rade à cinq heures du soir, et captura la goélette; elle était espagnole. Deux jours après ta commandant Breadlead vint à mon bord il était dans une vive inquiétude sur le sort de l'embarcation qui avait remonté la rivière. Comme il ne connaissait pas les localités, il ne pouvait communiquer avec la terre, il me pria de m’informer de ce qu'elle était devenue. Je fus trouver le roi Denis, et après lui avoir fait part do l'inquiétude du commandant, je lui demandai de vouloir bien ordonner quelques recherches. Il montra d'abord un peu de répugnance à obliger un officier qui, disait-il, nuisait à son commerce en arrêtant tes négriers espagnols mouillés sur rade mais bientôt, l'intérêt cédant à l'humanité, il expédia trois pirogues montées de noire. Le quatrième jour seulement nous apprîmes, par le retour d'une de ces pirogues, que l’embarcation anglaise, avait été capturée par les indigènes plusieurs hommes avaient été tués les autres grièvement blessés et faits esclaves mais on ne put nous indiquer précisément le lieu où ils étaient détenus.
Dans la persuasion que le moindre retard pouvait causer la perte de ces infortunés, nous convînmes de partir tout de suite à leur recherche. Nous ne prîmes donc que le temps de nous armer, et, à quatre heures du soir, nos embarcations remontaient la rivière. Nous fîmes ainsi 60 milles sans recueillir de renseignements positifs. Enfin, le lendemain, à la pointe du jour, nous abordâmes chez une peuplade où l'on nous dit avoir entendu des coups de fusil; d'après ces sauvages, les blancs devaient être en ce moment dans un village à 9 ou 10 milles plus haut. Après une heure de repos, nous poursuivons notre route.
A l'approche du village indiqué, plusieurs pirogues fuient devant nous d'autres se cachent sous les arbres qui bordent le fleuve, et bientôt après apparait sur la rive un grand nombre de nègres armés et paraissant disposés à se défendre.
Néanmoins nous approchons, et après leur avoir fait comprendre que notre intention était seulement d'obtenir les blancs qu'ils avaient en leur possession, et non de les attaquer, le roi s'avança vers nous en nous disant de descendre à terre, qu'il était disposé à traiter. Nous nous rendîmes à son invitation, et, après de longs débats et quelques menaces, nous convenons de l'échange de nos hommes contre du rhum, du tabac et quelques marchandises.
Nous attendions depuis une grande heure qu'on nous les remit, lorsque nous vîmes arriver quatre malheureux se traînant avec peine, le corps presque nu et couvert de blessures encore sanglantes et pleines de poussière. Ils n’avaient même pas la force de nous répondre ils étaient mourants de souffrance et d'inanition. Nous les embarquâmes avec précaution, et descendîmes dans un village situé à deux lieues au-dessous de celui que nous venions de quitter. Les naturels nous reçurent avec cordialité, et nous apportèrent du poisson, des fruits et du vin de palme.
Après le repas, nos malades se trouvant mieux; nous continuâmes notre route, et le lendemain matin, à neuf heures nous déposions à bord du Lynx les quatre marins anglais qui venaient de courir de si grands dangers. Nous reçûmes des officiers et de l'équipage les marques de la plus vive gratitude, et le Lynx appareilla.
C'est aux bons renseignements et aux sages conseils de l'estimable roi Denis que nous devons la réussite de notre entreprise. Cet homme respectable, dont la couleur s'efface à mesure qu'on le connaît davantage, est le roi noir le plus dévoue aux Européens que je connaisse sur la côte.