
1897
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2 avril 1897
VOYAGE PRÉSIDENTIEL (De notre correspondant spécial)
C'est par une pluie battante que M. Félix Faure a quitté ce matin la préfecture de Nantes et est allé s'embarquer sur l'aviso L'Elan, sur lequel il descendra la Loire jusqu'à Saint-Nazaire et procédera, au cours de sa route, à l'inauguration officielle du canal maritime latéral de la Loire.
L'Elan a accosté à Indret. Le Président y a visité les établissements de l'Etat pour les constructions navales. Il a pénétré, à la Martinière, dans le canal et, à onze heures, après l'avoir suivi dans toute sa longueur pendant quinze kilomètres, il abordait à l'autre extrémité, dans l'île du Carnet (commune de Frossay, canton de Saint-Pére), où la chambre de commerce de Nantes lui a offert un déjeuner, servi sous une tente luxueuse,instaUée spécialement.
A l'arrivée dans l'île, le maire de la commune de Frossay, qui est le sénateur royaliste M. de Lareinty, a présenté le conseil municipal et appelé la sollicitude du gouvernement sur les inscrits maritimes qui, pendant cinquante ans, restent avec abnégation à la disposition de l'Etat.
Au dessert, le président de la chambre de commerce a exposé les heureuses conséquences de l'ouverture du canal qui, en quatre ans, a vu transiter plus de 400 navires ayant un tirant d'eau supérieur à cinq mètres.
Le président de la République a répondu, puis, son élocution terminée, a remis la croix de chevalier de la Légion d'honneur à M. Cossé, membre de la chambre de commerce.
LA DESCENTE DE LA LOIRE
Saint-Nazaire, 22 avril.
Les membres de la chambre de commerce de Nantes prennent congé, au Carnet, du président de la République M. Félix Faure poursuit, sur l'Elan, sa descente de la Loire. Il s'arrête quelques instants à Paimbœuf où le conseil municipal lui est présenté par M. de Juigné, député conservateur de la circonscription. Le Président arrive à trois heures à Saint-Nazaire.
La pluie a cessé. La foule couvre les quais ; toutes les maisons sont pavoisées, ainsi que les navires en ce moment dans les bassins et en rade. On apercoit le Dupuy-de Lôme, ainsi que le Jemmapes et le Bouvines, qui l'escorteront demain jusqu'aux Sables d'Olonne.
M. Félix Faure traverse en voiture une partie de la ville et se fait montrer les travaux du nouveau port. On sait que Saint-Nazaire veut donner à ses bassins un accès direct sur l'Océan, afin que les navires ne soient plus obligés d'évoluer en Loire pour entrer dans le port, comme ils le font actuellement, non sans inconvénients.
Après les réceptions, qui ont eu lieu sans incident, M. Félix Faure a visité l'hôpital et les divers chantiers de Saint-Nazaire.
Dans l'un d'eux, il examine assez longuement les plans du croiseur le Guichen, qui doit filer 23 nœuds.
Sur le parcours, un coin de la foule offre un coup d'oeil assez curieux : ce sont les paludiers qui ont, pour la circonstance, revêtu le vieux costume original, mais aujourd'hui à peu près disparu sur cette partie de la côte, et que l'on ne retrouve que les jours de mariage et de grande fête. Il n'y en a pas moins de cent. Les uns ont un immense chapeau de feutre, aux bords d'une largeur énorme et dont le fond affecte vaguement la forme du chapeau de gendarme, un veston court aux couleurs éclatantes et culottes courtes ; d'autres portent une bonnet écarlate avant les dimensions du bonnet de coton ordinaire et de longues blouses.
Les femmes sont venues également et les tons vifs de leurs costumes multicolores ne le cédent en rien à ceux des hommes.. -.
M. Félix Faure s'intéresse beaucoup à cette résurrection des vieux costumes, et il s'entretient familièrement avec les paludiers.
Ceux-ci ne sont pas venus seulement à Saint-Nazaire pour voir le président de la République, ils ont des doléances à présenter au sujet de l'état des marais salants, des charges qui pèsent sur le sel, des conditions de transport, etc. Une pétition a été rédigée ; c'est à M. Barthou qu'ils la remettent.
Le soir, banquet offert par la chambre de commerce et par la municipalité réunies.
A ce banquet, le maire, dans son toast, fait l'historique de la transformation depuis cinquante ans de la ville de Saint-Nazaire, et il traite la question de nouveaux ports.
M. Félix Faure, dans sa réponse, rend hommage aux efforts faits par la ville pour se mettre à la hauteur des progrès maritimes.
Le Président rappelle sa visite de l'après-midi aux chantiers et fait connaître que le port de Saint-Nazaire peut être sûr, dés à présent, que dans le programme du gouvernement, une partie des constructions maritimes lui est réservée.
Cette déclaration est accueillie par de chaleureux applaudissements.
M. Félix- Faure termine en buvant au patriotisme de la ville de Saint-Nazaire.
A dix heures, le président de la République s'embarque sur le Dupuy-de-Lôme, où il doit passer la nuit. Le pavillon du chef de l'Etat est aussitôt hissé au sommet du grand mât.
La pluie n'ayant pas recommencé à tomber, la fête de nuit est superbe. Les illuminations sont générales. Des cordons lumineux dessinent le contour des mâts et des vergues des navires.
Les cuirassés font des projections électriques. Le Dupuy-de-Lôrne et les autres cuirassés appareillent dans la nuit ; ils arriveront demain dans l'après-midi aux Sables-d'Olonne.
ARRESTATION D'ANARCHISTES Saint-Nazaire, 22 avril.
Le service de la Sûreté, que dirige comme d'habitude dans les voyages présidentiels, M. Hennion, commissaire spécial, a arrêté ici quatre anarchistes, sur mandat du procureur de la République. Les perquisitions faites ont amené la saisie de papiers intéressants et notamment d'un dessin de bombe au fulminate:
P.R.
13 juillet 1897
Un matelot nommé Castro, du yacht « Coquelicot », de Saint-Nazaire est tombé pendant le parcours en mer et s'est noyé, malgré les efforts faits pour le sauver
24 novembre 1897
YACHTING
Petits sois pas sages
Les jeunes yachtmen qui fréquentent l'été les côtes de la Bretagne, font bien souvent des niches à la Marine, ainsi qu'aux municipalités des villes; mais celles- ci, bénévoles, se contentent généralement de rire des plaisanteries car la pléiade n'est à coup sûr pas méchante, si elle n'est point spirituelle toujours!
Cependant, lorsque la drôlerie enfreint les limites permises, l'administration se fâche et la férule sévit sur les doigts des galopins.
A propos de bottes, en août dernier, plusieurs de ces gentils navigateurs, se trouvant à bord de leurs yachts dans le port de Saint-Nazaire, accueillirent de lazzis un pauvre diable de torpilleur, qui rentrait des manœuvres, fort éclopé, ayant grand besoin de séjourner quelque peu dans le dock réparateur.
« Sale charbonnier », lui cria-t-on.
« Soldat! » hurla-t-on au commandant, etc., etc., et autres bonnes farces, qui firent s'esbaudir joyeusement les assistants, sauf cependant dame Administration qui se fâcha tout rouge !
« Quand bébé n'est pas sage, on lui supprime ses joujoux 1 ».
Et, dans l'espèce, la bonne autorité fit ordonner à M. Proust, yachtman, de désarmer sa Chiquita, et à M. Dumoulin, autre yachtman, de faire de même pour son cutter la Dis.
Mais la rancunière administration, non contente de ce résultat, ne fut satisfaite que lorsqu'elle eut traduit, en outre, ce dernier, devant le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire, lequel, raisonnablement indulgent pour une peccadille, condamna seulement le pauvre prévenu à 50 francs d'amende, avec application de la loi Bérenger !
C'est égal, il va falloir être sage pendant cinq années désormais; et peut-être, durant les loisirs de l'hiver, ne vous serait-il pas préjudiciable, oh ! yachtmen, à si belles casquettes, de réfléchir un tantinet sur les dangers du Ridicule!