
1886
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10 mars 1886
Petit. Echos
Nous recevons un fort intéressant morceau de musique, intitulé Au Tonkin.
Ce poème patriotique est du capitaine Zic, et la musique très enlevante de M. Eugène Dupré, directeur des Soirées musicales de Saint-Nazaire.
25 mars 1866
LE RETOUR DE M. DE LESSEPS
(Par dépêche télégraphique) Saint-Nazaire, 23 mars, 7 h. 15 soir.
L'accueil que Saint-Nazaire vient de faire au Grand Français a été digne de l'homme illustre à qui il s'adressait. M. Ferdinand de Lesseps, accompagné de son fils Victor Lesseps, a été l'objet d'une ovation enthousiaste bien difficile à décrire. Il faut connaître la réserve ordinaire de ces populations si recueillies, si tranquilles, si laborieuses, pour comprendre toute la portée de cette manifestation.
Le Washington, capitaine Dardignac, est majestueusement entré en rade à quatre heures trente, par une mer superbe et un soleil éclatant ; le soleil d'Austerlitz, pourrait s'écrier un des nombreux admirateurs de cet homme étonnant.
Le maire de Saint-Nazaire, mon ami et ancien condisciple, Fernand Gasnier, avait invité ses administrés à pavoiser et illuminer; ceux-ci ont fait brillamment les choses. Dès que le sémaphore de Belle-Ile eût signalé le Washington, de toutes parts, à toutes les fenêtres, des drapeaux flottent ; des mâts ornés de cartouches aux initiales F. L. s'élèvent comme par miracle de terre; enfin tous les navires avaient arboré leurs grands pavois, rien de plus pittoresque et de plus solennel à la fois.
A quatre heures, le petit steamer Belle-Ile, tout pavoisé, nous prend à son bord : le maire, la municipalité, la chambre de commerce, les autorités, les invités, et nous nous dirigeons vers le transatlantique qui porte M. de Lesseps. Le canot de la Santé nous précède ; le premier il aborde ; deux coups de canon tonnent, nous abordons à notre tour. Sur la dunette se tient M. de Lesseps. Un hurrah frénétique éclate, tous les chapeaux s'agitent. On crie : « Vive de Lesseps ! »
L'un des premiers je serre la main du Grand Français et lui présente les compliments de Gil Blas. Il a toujours bon pied, bon œil, et ne paraît nullement fatigué du voyage. Il nous explique pourtant qu'il y a sept jours le roulis et le tangage ont été si violents qu'il a été renversé sur le pont et qu'il a dû garder un appareil qu'on vient seulement de lui enlever. Maintenant il n'y paraît plus rien.
M. de Lesseps, son fils Victor de Lesseps, les quatre délégués des chambres de commerce de Bordeaux, de Marseille, de Saint-Nazaire et de Rouen, qui l'ont accompagné à Panama et les personnes de sa suite prennent place sur le steamer Belle-Ile qui nous conduit au port. Un yacht nous accompagne, une fanfare y a pris place et joue la Marseillaise. Sur l'estacade, sur les quais/une foule qu'on peut évaluer à dix mille personnes stationne émue et toute empoignée par l'enthousiasme ; des mères tiennent leurs enfants sur leurs bras étendus et les montrent au Grand Français, des vivats éclatent et tous les cris se confondent dans une acclamation commune. M. de Lesseps, très touché, salue : « Tout va bien, me dit-il, les travaux seront terminés au plus tard en 1889; vous pouvez hardiment l'annoncer; les derniers contrats expirent en cette année.
Nous débarquons, la musique joue, la foule forme une haie serrée ; nous arrivons à la mairie, la voiture de M. de Lesseps est escortée et ce dernier presque porté en triomphe dans la grande salle où le maire, M. Gasnier, souhaite la bienvenue à M. de Lesseps qui répond : « Î1 y a sept ans que je partais de Saint-Nazaire avec une commission pour faire donner les premiers coups de hache dans -ces forêts vierges de l'isthme, aujourd'hui, vos délégués, bien d'accord entre eux, reviennent de Panama et pourront vous dire toute la vérité et vous apprendre tout ce qui a été fait.
Je ne connais pas leur rapport, je n& veux pas actuellement le connaître ; c'est la France qui a fait le canal, elle seule était capable de mener cette œuvre à bonne fin. Tout l'isthme, pays sauvage, est occupé par des machines qui, mises en activité, représentent plus de trois oent mille travailleurs ; l'état sanitaire de la population est excellent. Par suite de dispositions prises, nous avons un hôpital qui contient plus de cinq cents lits.
Nos premiers fonds ont été en partie utilisés comme frais de premier établissement; aujourd'hui l'achèvement, singulièrement plus facile, sera rapide ; il se fera pour le bien de la France et de l'humanité tout entière. »
Les cris de « Vive de Lesseps ! » accueillent ce discours, puis Mme Richard, femme du sous-préfet, présente un bouquet à M. de Lesseps, au nom des dames de Saint-Nazaire.
M. de Lesseps, souriant, répond : « Merci, j'aime beaucoup les dames, elles ne sont pas les moins nombreuses parmi mes actionnaires, et ce sont elles qui, le plus souvent, ont fait preuve d'une, vertu qui manque trop aux nommes : la constance. » Tout cela est dit sur un ton débonnaire des plus charmants. On rit. On applaudit.
M. Ferdinand de Lesseps se rend chez M. Méresset:.-délégué de Saint-Nazaire au voyage de Panama, où il couchera. Le soir, dîner intime de dix-huit couverts chez M. Gasnier, maire. Les invités sont Ferdinand et Charles de Lesseps, les présidents de la chambre de commerce, du tribunal civil, des délégués de la chambre de commerce, qui arrivent de Panama. Quant au banquet offert par la municipalité et le commerce, il a lieu demain soir, six heures, au Grand-Hôtel.
Minuit.
Le dîner chez le maire a été tout intime; M. Ferdinand de Lesseps nous a tenus sous le charme de sa conversation.
M. Méresse, délégué de la chambre de commerce de Saint-Nazaire, nous a dit quelle animation régnait dans les chantiers. M. Charles de Lesseps nous a expliqué comme quoi la progression constante dans l'extraction se reproduisait à Panama comme à Suez.
En effet, à Suez, les dix premières années on ne put extraire que 25,000 mètres cubes ; puis, en deux mois, on put extraire 50,000 mètres cubes; la même progression constante se reproduit pour Panama. Actuellement, il faudrait sur les derniers- chiffres d'extraction dix années pour finir le canal, et il y a quelques mois il eût fallu le double ou le triple ; mais avec cette progression constante les * travaux s'achèveront plus promptement.
Il y a en réalité treize ou quatorze mille employés au service de Panama ; le personnel est dévoué. Les travaux marchent et tout sera terminé à l'heure dite, sinon auparavant. Il faut tenir compte des travaux d'établissement de machines, le fonctionnement se perfectionne; aussi bien, l'opinion est unanime.
Au dessert, après un toast charmant au mire, M. Gasnier, M. Ferdinand de Lesseps a répondu que la faveur de l'opinion publique qui lui avait valu la brillante manifestation d'aujourd'hui était un sûr garant du succès. On a applaudi, puis on s'est pris à écouter M. de Lesseps, nullement fatigué, jusqu'à minuit.
Demain a lieu le banquet; après-demain M. de Lesseps ira à Nantes, où l'a convié la Chambre de commerce.
Fernand Xau
26 mars 1886
M RETOUR DE DE LESSEPS (Par dépêche télégraphique) Saint-Nazaire, 24 mars, 11 h. 45 soir.
Demain, nous allons à Nantes, comme je vous l'ai dit. Un grand banquet sera offert à M. Ferdinand de Lesseps. Il aura lieu probablement dans le pilais de la Bourse. M. de Lesseps ne centrera que vendredi, à quatre heures, gare Saint-Lazare, à Paris. Il voulait arriver plus tôt, en ne s'arrêtant point à Nantes, mais le moyen, je le disais hier, de faire autrement ! Les Nantais, adversaires des habitants de Saint-Nazaire, comme les Rouennais sont les antagonistes naturels des Havrais, eussent poussé de beaux cris de paon !. Aujourd'hui a eu lieu, à six heures, dans la grande salle des Fêtes du Grand-Hôtel;, splendidement décorée, le banquet que j'avais annoncé. Je laisse à d'autres le soin de vous donner le menu, composé en partie de plats du pays et superbement servi. Je préfère en venir tout de suite aux choses plus sérieuses. A ce banquet assistaient, outre le maire, la municipalité, les cinq délégués des chambres de commerce, M. Duval, président de la chambre de commerce, l'honorable M. Vezin, président du tribunal civil, MM. les généraux Forgemol et de Bostquemare, commandant du corps d'armée. M. Schwob, directeur du Phare de la Loi/te, les représentants de la presse de Paris et de la presse locale, le préfet de la Loire-Inférieure, arrivé à Saint-Nazaire à onze heures et demie ; les représentants du grand commerce et de la haute industrie.de Saint-Nazaire, etc. Banquet charmant et tout à fait réussi.
Au dessert, on a toasté, comme bien vous pensez, mais on n'a dit que des choses raisonnables et utiles, contrairement à ce qui se pratique en trop de cas. Le toast du maire, M. Fernand Gasnier, a surtout été applaudi lorsqu'il a dit que la ville de Saint-Nazaire donnait le nom de Ferdinand de Lesseps à un nouveau boulevard. M. de Lesseps a répondu en buvant aux ingénieurs et aux hommes qui ont travaillé et qui travaillent au canal de Panama.
Le président de la Chambre de commerce a pris ensuite la parole et après lui M. Méresse, délégué de la Chambre de commerce de Saint-Nazaire lors du voyage à Panama, a constaté le progrès accompli et a associé dans un toast les noms de Ferdinand et Charles de Lesseps ; ce dernier a répondu en disant avec un rare bonheur d'expressions qu'il n'avait qu'un seul mérite : celui d'être le fils de son père. « Cela me procure, il est vrai, a-t-il ajouté en souriant, de doux instants comme celui-ci, mais par contre, il en est de rudes où il faut faire de grands efforts pour le suivre. »
M. Charles de Lesseps a terminé en buvant à l'avenir de la ville de Saint-Nazaire.
Aussitôt après, M. Glaize, préfet de la Loire-Inférieure, a porté la santé de l'homme qui avait conçu le rève le plus puissant qui ait jamais été fait ; celui d'agrandir l'Océan après avoir agrandi la Méditerranée.
Les ministres de Colombie et do Venezuela et divers orateurs ont pris enfin la parole ; au moment où le premier parlait, une agréable surprise attendait M. de Lesseps : Ses enfants, arrivés par le train de sept heures et demie, faisaient irruption dans la salle du banquet, et venaient embrasser leur père. C'était une surprise de Mme la comtesse de Lesseps.
Je vous laisse à penser si elle a été agréable au Grand Français. De tous côtés, des hurrahs se firent entendre ; l'enthousiasme était indescriptible.
Le maire de Southampton a envoyé un télégramme de félicitations.
Je passe sous silence les autres toasts, à la presse, etc. Il me faudrait cinq colonnes pour tout vous résumer seulement. Je préfère vous donner des strophes d'une cantate qui a été chantée pendant le dîner.
Salut au Grand Français dont le pays s'honore Que l'Amérique envie et l'Anglais acclama, Gloire au vaillant pionnier ! A lui salut encore l C'est un autre Suez qu'il creuse à Panama 1 Honneur à l'homme illustre! Au champion de la France! Le peuple heureux et fier de contempler ses traits, Rend grâce, à Saint-Nazaire, à ceux dont l'influence Lui permet aujourd'hui de voir le Grand Français !
Banville, illustre collaborateur et maître, excusez l'inexpérience du jeune maître, h bile poète qui a fait ces vers maître, habile poète qui a fait ces vers — et peu habile poète qui a fait ces vers que je ne cite qu'à titre de curiosité amusante.
Je continue : Valeureux travailleur, sa vaste intelligence, Son labeur opiniâtre ont conquis le succès ; La Foi, qui fait franchir les montagnes immenses, Fera sauter pour lui les rocs les plus épais.
Mendès, poète impeccable, soyez non moins clément.
Oui, l'épargne du peuple, en toute confia, Au lutteur fortuné se livre par chacun ; Il la quintuplera ! Dieu bénit l'existence Des hommes de génie, et Lesseps en est un !
Et vous, ô Silvestre, dont les vers si gracieux bercent fli doucement l'esprit et troublent profondément l'âme, soyez magnanime ! L'intention, la bonne intention y est Couplet final : Salut au Grand Français, dont le pays s'honore, Que l'Amérique envie et l'Anglais acclama ; Gloire au vaillant pionnier ! A lui, salut encore i C'est un vaste Suez qu'il creuse à Panama.
On ne saurait abuser d'aussi bonnes choses. Auteur : Louis Mara. Jeune homme, vous irez loin.
C'est une belle et grande journée ; au dehors, la ville est illuminée et traversée par une retraite aux flambeaux.
Fernand Xau.
P. S.- C'est par suite d'une erreur télégraphique qu'on m'a fait dire que Ferdinand de Lesseps revenait accompagné de son fils Victor. C'est, on l'a compris, de son fils Charles qu'il fallait dire. Victor de Lesseps est d’ailleurs arrivé aujourd'hui à six heures.
15 septembre 1886
MANQUE DE BLE
Nous avons annoncé que, par suite de notre insuffisance de récolte en grains, l'Amérique s'apprêtait à nous envoyer de nombreux chargements de blé.
Nous apprenons aujourd'hui que des quantités considérables de blés américains viennent d'arriver au port de Saint-Nazaire, et que, dans la seule journée d'hier, la Compagnie du chemin de fer d'Orléans n'a pas dû employer moins de 200 wagons pour en opérer le transport.
Cette masse de blés étrangers jetés sur nos marchés, et à l'égard desquels ?offrait que la Chambre a refusé toute surtaxe protectrice, va achever l'écrasement de nos pauvres cultivateurs.
26 septembre 1886
navire "le résolut"
Saint-Nazaire, 24 septembre. — Deux marins anglais du navire le Résolut entraient hier matin dans le restaurant d'un sieur Cabel, à Saint-Nazaire, et demandaient à boire.
Cabel, qui, la veille au soir, avait déjà eu une discussion violente avec eux, refusa de de les servir. Une querelle s'en suivit et l'un des marins sortit un revolver de sa poche.
Cabel, s'armant alors d'un couteau de cuisine, en porta à l'Anglais un coup violent dans la région du cœur
L’ Anglais sortit en chancelant et alla tomber mort à quelques mètres du restaurant, tandis que son compagnon s'enfuyait à toutes jambes.
Le meurtrier a été arrêté.